(fondre) dans le décor ›› lina

stop 1 - aguiar On parle d’une histoire aux reflets bleutés de la tourmaline la plus rare du pays. Pourquoi ici, et pas ailleurs, pourquoi lui et pas un autre ? Personne ne vous a dit que les histoires d’amour, ça ne se commande pas ? Ca ne s’explique encore moins, n’est ce pas. Et Victor n’a pas vraiment compris. Il n’a pas réellement cherché à comprendre, puisque son rôle d'aîné, c’était d’aider sa famille. Rien d’autre. Alors, l’histoire se résume dans un éclat de pierre, précieuse et rare, pas grand monde a la chance de la voir de près, pas grand monde a la chance de l’observer, mais elle vaut tant qu’on la jalouse, qu’on l’épie lorsqu’elle est portée avec le coeur. Mais, à l’instar de tant de choses, on peut la perdre, se la faire voler, qu’elle disparaisse… Et ne reste parfois que l’écrin qui a tenu en son sein ce qu’il y avait de si précieux : Lina.

stop 2 - sao luiz Lina a mille mères. Dans le village, chaque femme s’apparente à une figure protectrice, et jamais elle ne s’est interrogée sur l’absence de celle qui l’a portée, puisqu’ici, tout le monde s’applique à l’aider, l’aimer, l’accompagner dans sa petite fille. Le monde se soutenait autour d’elle, et elle n’avait jamais connu la solitude. Entourée d’enfants et de sourires, d’un père dévoué et attentif, investi dans son devoir de soutien pour la famille, il ne la laissait jamais de côté, sauf quand il partait à la mine. Et un jour, la mine emporta son oncle, son grand-père, et presque son père. Sabotage. Sabotage d’une vie parfaite dans la misère, sabotage de la quiétude et des mères qui l’entouraient. Sabotage.

Alors, la fuite fut la meilleure option pour la protéger. Puisque le conflit pour la pierre faisait rage, et que la nourriture se faisait rare, Victor devait tenter sa chance ailleurs. C’était son occasion d’offrir autre chose à son enfant, et de construire son propre rêve américain. Et Lina irait bien.

Elle n’avait pas besoin d’une mère puisqu’elle avait un village. Avait.

stop 3 - belem la maladie la frappa un peu fort, elle a attrapé froid pendant leur voyage. Le résultat n’en était que tourmente et douleur pour le père qui se perd dans ses propres décisions. Le regret frappant aussi fort que l’hésitation, les remises en cause étaient nombreuses, pourtant, la voix de l’enfant le rassurait : la vie sera meilleure une fois arrivée. Lina se remit après un certain temps, son paternel assuré qu’elle ne supporterait pas un virus de plus part doucement pour ne pas la brusquer, Lina avait beau être solide, pas autant que la tourmaline.

stop 4 - macapa Les frontières étaient de plus en plus délicates à franchir et le danger augmente de plus en plus. Victor tentait de cacher à sa fille les vols et menaces qu’il subissait, les manipulations des passeurs qui tentaient de prendre tout ce qui reste, si bien que les stratagèmes se multiplièrent pour cacher leurs dernières pierres et survivre jusqu’au bout du chemin. Les cachettes dans les jouets de Lina n’étant plus efficaces, c’est entre les cheveux emmêlés de l’enfant qu’on a caché les denrées sauveuses pour éviter qu’elle disparaisse. Jamais un chignon pleins de nœuds ne fut aussi utile que celui-ci.

stop 5 - sipaliwini Lina avait connu la faim. C’était dur, et ça entraînait de terribles maux de ventre. Elle s’était d’ailleurs retrouvée à accepter des denrées qu’elle n’aurait jamais imaginé manger, mais la torsion au creux de son estomac était si difficilement supportable qu’elle s’en était accommodée. Habituée à manger doucement non pas pour savourer mais pour laisser son corps reprendre conscience de l’alimentation. Son père l’aidait véritablement sur cette question, bien qu’il se sacrifiait le plus souvent, suggérant à sa fille qu’il n’avait plus faim, et lui donnant toutes les bonnes indications pour que la nourriture trouve sa place sans disparaître. Mais la soif.

La soif, c’était pire que tout.

Pire que tout, au point que Lina ne voudrait plus jamais y penser, ne plus jamais le revivre.

Et Victor en a bien pris soin, puisqu’ils se sont ensuite arrêtés plus d’un an lorsqu’ils sont arrivés à leur nouveau point de ravitaillement.

stop 6 - aishalton Lina était trop jeune pour identifier le pays dans lequel ils s’étaient arrêtés, et dans lequel ils évoluaient, mais elle voyait son père travailler en tant que joaillier, et se sentir à sa place, ailleurs que dans son pays de naissance, et cela lui convenait. Des bases d’espagnol lui étaient enseignées, mais elle était particulièrement démunie face aux langues, préférant faire de grandes formes abstraites sur des feuilles de papier, et représenter le soleil dans chacun de ses dessins. Son portugais se mélange aux bribes d’espagnol, qui se confondent avec du français appris sur la route : de nature possédant un langage approximatif, elle se perd entre les phrases qu’elle a entendues de frontière en frontière. Pourtant, elle tente de faire des efforts car elle est convaincue que son père a trouvé l’amour dans ce nouveau pays, et elle cherche à s’intégrer tant bien que mal pour qu’il se sente en toute sérénité et qu’ils puissent alors vraiment s’installer. Mais elle s’enfuit avec des pierres, que Lina a laissé en toute naïveté sous ses yeux cupides. Pour la première fois, Lina vit le mal en une femme, elles qui ont toujours été des protectrices à ses yeux.

stop 7 - bochinche Ils se retrouvèrent alors divisés. Alors qu’ils étaient toujours l’un avec l’autre, sans se séparer, jamais, toujours accrochés, Lina souvent comme à une bouée de sauvetage, se trouva durant plusieurs jours loin de son père. Parce qu’il n’y avait pas de mère, parce qu’il n’y avait pas de places pour les migrants dans la terre promise. Terrée dans une pièce ressemblant plus à un dortoir qu’à une salle d’attente, la forçant à se poser contre les draps rugueux en chien de fusil, elle patientait, l’angoisse grignotant les espoirs de vie nouvelle. Jusqu’à ce qu’un pasteur la tire alors de l’endroit, et qu’elle retrouve alors sa personne préférée sur Terre et au-delà : son père.

stop 8 - valledupar Les champs de blé à perte de vue, ses cheveux coupés au carré et des pommettes rougies par l’éclat du soleil lui offrant une mine plus saine qu’elle n’avait jamais eu jusqu’alors. La lecture de la voix enfantine d’Arham la berçait, laissant les rayons caresser sa peau avec délice, s’attachant aux héros grecs quand les lettres dansaient sans grand sens sous ses prunelles, pourtant les histoires résonnaient avec une singulière justesse aux oreilles de Lina. L’impression qu’on narrait combien les dieux et déesses savaient protéger les mortels des nombreux voyages que comptaient la vie jusqu’au chemin final, lui rappelant qu’elle n’avait probablement jamais été seule pour arriver jusqu’ici, à observer son père faucher les gerbes sans jamais ciller, ses espoirs de fabricant disparu au profit d’une sécurité précaire, mais nourricière.

stop 9 - panama  Jalousie. Quelques lettres pour définir le sentiment qui la ronge si régulièrement qu’elle se doit d’avoir un contrôle presque permanent. Depuis qu’elle a vu son père blessé par une autre, elle avait développé cette légère tendance à la surprotection de ses proches, et depuis qu’Arham était entré dans sa vie, elle laissait la possessivité qu’elle contenait grandir encore et encore envers lui. Si bien que lorsqu’il lui préférait un.e autre camarade de jeu, de sourire ou d’éclat de rire, elle se prostrait dans un silence qui lui était tout à fait caractéristique. Presque figée, telle une statue, elle ne reprenait vie que lorsqu'il s'approchait d'elle, gravitant tel un satellite, elle n'arrivait à s'intégrer que s'il était là pour l'y aider. Probablement parce qu'il la comprenait sans qu'elle n'ait vraiment besoin de parler, parce qu'elle était toujours terrifiée que l'eau disparaîsse à nouveau et qu'il savait lui en montrer dès qu'elle s'en inquiétait, parce qu'elle avait tant entendu les adultes comme les enfants lui conseiller de rentrer chez elle quand elle tentait juste de prononcer correctement awkward et que sa langue fourchait. C'était si compliqué, tout cela, quand on se moquait alors qu'elle montrait que sa maison n'était qu'à quelques mètres au loin, derrière les champs de colza. Le temps lui a appris à se détacher des propos, nourrissant le désir profond d'être acceptée, toute entière, sans avoir besoin d'être lune, mais planète.

stop 10 - puerto viejo de talamanca La lumière offre aux autres la chance de briller. Multicolore, et sans couleur, elle existe sans être tangible, saisissable. De la même façon que sa mère divine. Tendre mais absente, Lina ne l'a jamais haïe pour cela. l'empathie et la compréhension dont elle a su faire preuve dès l'enfance résulte probablement des belles personnes qu'elle a rencontré en migrant jusqu'à la sérénité avec son père. Alors, son regard reste bienveillant envers celle qui lui a transmis tant de pouvoirs, parce qu'elle sait alors qu'une autre vie lui ai réservée, surement plus protégée par la lumière de sa mère nourricière.

stop 11 - puerto escondido elle n'a jamais cessée de penser qu'ailleurs, auprès de ses racines maternelles, elle serait intégrée sans même avoir besoin de se forcer. Pourtant, son allié premier restait Arham, lui aussi dénigré par la nature moins première de sa divinité ascendante. Mais Lina n'était pas du genre à se laisser abattre, et ainsi, elle a réussi, lentement mais surement, probablement grâce à sa détermination et sa douceur, à trouver en chaque demi dieux un lien tangible pour tisser au fur et à mesure des jours et des années une amitié parfois indéfectible, la distinguant de son acolyte, si souvent en colère contre la vie.

stop 12 - tijuana Son sourire était si grand, parce qu'au-delà de lui assurer une vie plus paisible alors qu’elle avait trouvé son refuge ailleurs, Victor devenait américain, par l’alliance qui scellait son amour pour celle qui ravissait sa nouvelle existence, il rayonnait encore plus qu’elle un jour d'entraînement. Elle était maintenant grande sœur d’une enfant plus innocente qu’elle n’aurait jamais pu l’être. C’était probablement le mariage le plus tendre qu’on aurait pu imaginé, se terminant de la plus belle des façons, offrant larmes et fou rires à Lina, ayant pu s’échapper du camp pour ce motif impérieux, sa robe longue flottant au rythme de ses pas berçants l’enfant dans l'hôpital, circulant dans ce monde sans Dieux, mais protégé par un seul auquel son père croyait sans faiblir, offrant à la douce un prénom bien différent du sien, l’accrochant à jamais aux racines catholiques qu’il avait développé, persuadé qu’elles l’avaient sauvés, quand Lina était convaincue que sa mère avait veillée sur eux. Magdalena aurait une vie plus douce que son enfance, et moins alambiquée que la sienne, protégée par son identité, et la simplicité de ceux qui l’ont enfantés.

stop 13 - los angeles Les paupières closes, elle tentait d’évaluer l’ampleur des dégâts. La douleur était irradiante, violente, et elle était à peine capable de bouger les doigts de pied : des phalanges jusqu’au crâne, elle sentait les pulsations de son sang frapper à l’unisson, un sentiment terrifiant d’être vivante. Elle était en vie. Les souvenirs affluèrent alors pour se remémorer ce qui l’avait propulsé dans cet état, l’impression d’avoir son corps rué de coups et d’être profondément déshydratée. Sa bouche était sèche, et sa gorge brûlante, lui rappelant douloureusement une période de son enfance qu’elle pensait enterrée. Papillonant, ses yeux s’habituaient doucement à la lumière de la pièce, s’attachant presqu’immédiatement à la présence d’Arham. Le visage fermé, Lina n’arrivait pas à savoir s’il était endormi ou simplement ailleurs. Elle serra les dents et pressa doucement la paume du garçon contre la sienne pour lui signifier qu’elle était revenue à elle. “Hi stranger.” La phrase s’arrache presque de sa gorge, si bien qu’elle s’étouffe un peu en la disant, de façon si ridicule que cela lui tire un sourire dans son inconfort. Les prunelles du garçon croisent les siennes, et elle se sent chez elle. “I’m sorry, so sorry… I’ve been… reckless.” Un murmure qui s’échappe comme une litanie, pour se faire pardonner sa stupidité. Son inconscience, sa maladresse, l’avait poussé à perdre son attention et à se faire piéger beaucoup trop facilement. Après tout, ce n’était censé qu’être un entraînement, et Lina n’était pas très robuste, mais restait habituellement stratège. Elle avait réagi de façon impulsive pour le protéger alors qu’il ne risquait rien. Son pouce caresse distraitement sa main, sans le quitter des yeux. “Can I have some water please?” Elle tousse à nouveau, tentant de lever sa main vers la bouteille sa table d’appoint à côté du lit, qu’il lui tend presque immédiatement en voyant que sa mobilité est altérée, la soulageant de mouvements trop violents. “Thanks.” Elle sentait toutes ses failles soulagées et comblées par l’eau qui circulait maintenant le long de sa gorge, diminuant le feu et l’aidant à reprendre totalement conscience. “You can yell at me now.” Un rire s’échappant de ses lèvres relâcha l’atmosphère tendue, pour les laisser se retrouver aussi naturellement que possible.

stop 14 - colony “May I help you?” Ses boucles s’effondraient contre son front, et Lina dut se retenir de replacer les mèches qui frôlait sa peau pour dégager son visage. Les yeux plissées, il était si concentré qu’elle osait à peine le perturber. Religieusement, elle se désinfecta les mains à la manière des grands chirurgiens après avoir relevés ses cheveux en un chignon lâche, quatre minutes, le temps de chanter un rythme qu’elle avait entendue le matin à la radio, frottant sa peau jusqu’au bout des avants bras, laissant l’eau faire disparaître les bactéries qu’elle emportait jusqu’alors avec elle. Les mouvements étaient naturels, après tout ce temps, et elle était toujours touchée de voir qu’elle faisait partie des rares à qui il faisait assez confiance pour accepter l’aide. Si elle avait été totalement honnête avec elle même, Lina aurait reconnu que le fait qu’il soit parfois dépassé par tout ce qu’il y avait à faire qu’il n’avait pas bien le choix que d’accepter sa main tendue. Mais Lina aimait faire la plonge, pas autant que lorsqu’elle s’occupait de la friperie, mais assez pour le solliciter régulièrement. Le bruit de l’eau l’apaisait, et jouer de sa lumière l’amusait beaucoup. “You work too much, Arham, I wish I could help you more.” Il le savait, mais elle culpabilisait souvent parce qu’elle passait toujours beaucoup de temps à la colonie, en parallèle de l’apprentissage de son futur métier. Pourtant, jamais il ne s’en plaignait auprès d’elle, l’encourageant toujours dans tous ses projets. Lina était toujours rassurée de le trouver portant un sourire lui étant destiné : Arham était sa personne, et le temps, les projets, les idéaux, les autres, n’arrivaient pas à les séparer. Pas encore.

stop 15 - kvalir Elle voyait, elle sentait sans grande difficulté les traumatismes de celleux qui franchissaient la porte sacrée de son bureau pour révéler les terreurs comme les épreuves, les moments de vie quand elle osait à peine parler de son histoire. Ce déménagement impromptu, la rupture avec son ancien monde, la distance douloureuse avec son père, sa soeur, s’il lui restait Arham, elle ne s’était jamais sentie aussi seule là où elle aurait dû s’imaginer chez elle, comme elle le répète à tout ceux qui viennent la voir. Soutien des âmes perturbées par ce changement brutal, elle travaille à intégrer et s’intégrer chaque jour, en s’assurant que tout.e.s se sentent à son aise, au détriment de sa propre santé. Mais ici, il n’y a pas de risque qu’elle se retrouve chassée, jugée, repoussée, n’est ce pas ? Ici, elle n’est pas migrante, elle n’est plus si différente : acceptée.