sea storm + (vicencia)

First year La naissance. Une histoire d'un soir, une histoire de coucherie sans lendemain, ni plus ni moins. C'est comme cela que la première page de son histoire s'est écrite. Un homme et une femme se rencontre dans la baie des Anglais. Ils discutent, de longues minutes se changent en de longues heures, puis ils partagent une même couche le temps d'un soir, d'une nuit. L'homme est droit et rigoureux, doué d'une certaine sévérité, d'une certaine gravité, mais pas dénuer de charme. La femme est douce et enjôlée par le magnétisme divin que l'homme dégage. Durant l'étreinte, la femme enfouit son visage au creux du cou de son amant, il sent la mer et les embruns. Il sent l'océan. Une histoire sans conséquence, sans lendemain, entre une femme et un homme cherchant tous deux le réconfort d'une étreinte chaleureuse. Quelques semaines plus tard, la femme remarque un léger renflement de son ventre alors qu'elle s'examine dans le miroir de la salle d'eau. Les choses accélèrent dans son esprit, les nausées qui commencent à l'assaillir, chaque matin, l'absence de ses menstruations, elle qui a pourtant toujours été réglée comme une pièce d'horlogerie.

Neuf mois après sa rencontre avec cet homme qui habite encore ses songes, la femme se retrouve dans un lit d'hôpital, des contractions lui secouant le corps, de plus en plus proches les unes des autres. Après quelques heures de souffrance et d'effort, on dépose un bébé au creux de sa poitrine, une petite fille dont la peau pâle et le duvet blond qui couvre sa tête n'est pas sans rappeler l'homme avec lequel elle a partagé ses draps des mois auparavant. Mais c'est lorsqu'elle croise son regard que tous les doutes s'estompent. Elle a les yeux d'un bleu vif, comme l'océan, comme ceux de son père. Comme ceux de Neptune. Elle s'appelle Vicencia et elle est la fille d'un dieu.

fourth years La vie suit son cours depuis ce soir du vingt-quatre juin, il y a de cela quatre ans, où elle est née. Jusqu'à présent, Vicencia avait été une petite fille tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, de plus classique. Hyperactive, toujours en recherche d'attention, cela n'avait rien d'extraordinaire pour une gamine de son âge et, pourtant, ces symptômes étaient les premiers d'une longue série qui révèlerait le mystère de sa vraie nature, qui lèverait le voile de son identité. L'école était un supplice pour l'enfant. Incapable de canaliser son attention, de réprimer sa fougue, elle n'apprenait rien, ne retenait qu'à force de grands efforts. Rien ne s'arrangea avec l'apprentissage de la lecture. Les lettres dansaient devant ses yeux, changeaient d'ordonnancement, les mots se changeaient en d'autres mots. On lui diagnostiqua une dyslexie et un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, il n'en était rien. Son corps et son esprit luttait contre un enseignement qui n'était pas celui dont il avait besoin, qui n'était pas en accord avec sa nature profonde. De fait, son corps était conçu pour le combat et l'aventure, son cerveau pour lire le latin, mais cela, nul dans son entourage n'en était conscient, même pas sa mère, même pas Vicencia. Seul, peut-être, son père, qui veillant d'un oeil sur chacun de ses enfants, connaissait la vérité l'ichor divin qui coulait dans ses veines.

eight years Les choses sont allées de mal en pis durant ces quatre dernières années. La fille de l'océan demeure agitée, hyperactive. Elle ne lit qu'avec une grande difficulté et subit les quolibets et moqueries de ses camarades d'école. La plupart du temps, elle en fait abstraction, elle s'y est habituée. La plupart du temps, seulement, les autres fois, elle craque, elle cède à ses pulsions guerrières, saute au cou de l'un de ses camarades et le roue de coups, les larmes aux yeux, la fureur dans le coeur. On a conseillé à sa mère de la mettre dans une classe spécialisée, avec des enfants qui, comme elle, avaient besoin d'un rythme plus lent dans l'apprentissage, ce qu'elle fit, mais ça n'arrangea rien. La petite fille à la chevelure blonde qui se sentait déjà différente des autres enfants de son âge, qui se sentait déjà mise à l'écart, se sentait désormais idiote, en prime. Elle en a voulut à sa mère un certain temps, jusqu'à comprendre, bien des années plus tard, à quel point elle avait pu être désemparée face à la situation. À quel point elle avait pu être dépassé de voir son enfant si seul, si démunit face à l'adversité du monde.

twelve years La douzième année de sa vie fut celle qui marqua le bouleversement de sa vie, de son univers. De tout ce qu'elle avait connu durant son enfance. Tout au long de sa vie, aussi courte fut-elle en douze ans d'existence, Vicencia ne s'était jamais senti aussi à l'aise qu'entièrement immergée dans l'eau, encore davantage dans l'eau de mer. C'est là, dans l'élément aqueux, qu'elle se sentait la plus entière, la plus à sa place. Si elle avait toujours su qu'elle n'était pas comme les autres, elle ne découvrit à quel point elle était différente qu'à l'adolescence, lorsque, au cours d'une énième bagarre à l'école, alors qu'elle était en cours de natation, elle utilisa pour la première fois son hydrokinésie. On l'avait bousculée, elle avait heurté le sol et, dans un emportement de colère, elle avait levé le bras, comme pour porter un coup à celui qui l'avait envoyé embrasser le sol. Mais ce n'est pas son poing qui heurta la pommette du garçon qui riait en la regardant étendue au sol, mais une vague d'eau, un rouleau puissant qui l'expédia lui aussi à terre.

Dans une piscine où nul vent ne pouvait s'insinuer, où nulle explication rationnelle ne pouvait expliquer cette vague qui s'était formée, l'événement de ne passa pas inaperçu et les regards se portèrent tous sur elle. Un mélange d'incompréhension et de terreur naquit au sein de sa poitrine, enserra son coeur. L'incompréhension de ce qui venait de se produire, parce qu'elle savait, en son for intérieur, que c'était elle qui avait fait cela. La terreur parce qu'elle avait senti tous ces regards sur elle, qui la jugeait, qui la déclarait coupable de quelque chose qu'elle-même ne comprenait pas. Alors elle fit ce que n'importe qui aurait fait dans son état : elle s'est enfuit, sans se retourner. La nuit de ce même jour, un faune toqua à la fenêtre et lui révéla la vérité de son existence, allant de supposition en supposition quant à l'identité de son père. Un bouleversement auquel elle n'était pas préparée mais qu'elle n'eut pas de mal à croire. Au fond d'elle, là au beau milieu de sa poitrine, le sentiment chaud et jovial qui y naquit lui suffit à comprendre que la créature mi-homme mi-chèvre lui rapportait la vérité. Elle était une demi-déesse.

fifteen years Elle avait triomphé des épreuves de Lupa, elle avait écouté son instinct pour se rendre jusqu'à San Francisco, jusqu'au Camp Jupiter. Elle avait rejoint la légion et triompher de ses premiers monstres, de ses premières quêtes. Même l'identité de son père, désormais, n'était plus un secret. Il l'avait reconnu, publiquement, alors qu'elle était revenue, un trident en or impérial fièrement brandit au bras, d'une quête. Un trident entièrement fait d'eau était apparu au-dessus de sa tête, venu de nulle part. Elle était la fille d'un des trois grands dieux, la fille de Neptune. Là, au sein du Camp Jupiter, parmi les autres demi-dieux des dieux romains, elle se sentait à sa place. Elle était à l'apogée de son existence. Le malaise qui l'avait habité tout au long de sa vie, avant qu'elle n'arrive ici, s'était évanoui. Elle était chez elle, elle était parmi les siens. La vie était stricte et rude au Camp, elle était soumise à une discipline martiale et militaire que son corps avait toujours souhaité, pour lequel il avait été fait.

Si elle aurait pu faire le choix de ne venir au Camp que durant la période estivale, Vicencia avait fait le choix d'y vivre tout au long de l'année. De fait, après sa disparition en pleine nuit quelques années plutôt et sa réapparition toute aussi inattendue quelques mois plus tard, sa mère ne savait plus quoi penser et ce ne fut qu'encore plus confus dans son esprit lorsque la blondinette lui révéla la vérité sur son père. Elles avaient finalement fait le choix commun de laisser Vicencia vivre au Camp toute l'année. C'était ce qu'elle désirait. En contrepartie, Vicencia rentrait de temps en temps, entretenant une relation épistolaire au travers de sms quotidiens et de quelques appels en vision. La vie poursuivit son cours durant les dix années qui constituaient le service obligatoire au sein de la légion. Vicencia n'avait jamais été aussi heureuse de sa vie, même si le danger la guettait perpétuellement.

twenty-four years La vie poursuivit son cheminement et, au terme de quelques onze années de service, Vicencia se retira finalement de la légion, aspirant à une vie plus posée, plus stable que celle que lui offrait le camp. Elle s'installa à la Nouvelle Rome, sous le protectorat du Camp Jupiter et de sa légion et, pendant un temps, elle y coula des jours heureux. Une nouvelle vie s'offrait à elle à la Nouvelle Rome, avec son lot de nouvelles expériences. Durant les années qu'elle passa dans la ville romaine, elle découvrit les joies et les affres de l'amour, elle fit la découverte d'une vie normale, autant qu'elle soit possible de l'être lorsqu'on est un demi-dieu. La vie était belle et douce, peut-être un peu trop, d'ailleurs, pour le sang intrépide qui courait sous sa peau. Très vite, le manque de tout ce qu'elle avait vécue au camp, des quêtes auxquelles elle avait participé, se fit ressentir, tant et si bien qu'elle implora les prêteurs de la laisser participer à quelques quêtes, de temps à autre, pour superviser les jeunes recrues dans ces dernières.

Mais la vie des enfants de déités est marquée par la mort, par le chagrin et les larmes. Vicencia n'allait pas faire exception à cette règle et le drame survint lors d'une quête à laquelle elle participait avec quelques amis. Eux aussi retirés de la légion, des gens de son âge, des gens qu'elle connaissait depuis de nombreuses années, maintenant, avec lesquelles elle avait grandi. Tout c'était déroulé à merveille jusqu'alors, rien ne laissait présager ce qui allait se produire et c'est peut-être pourquoi ils ne surent pas réagir suffisamment vite, parce qu'ils étaient trop confiants, trop sûrs de leur réussite. Alors qu'ils touchaient au but, qu'ils allaient signer une nouvelle réussite, des stryges attaquèrent. Une attaque fulgurante, féroce et impitoyable. Elle vit nombre de ses amis mourir sous ses yeux, tomber les uns après les autres, jusqu'à ce que le groupe de six qu'ils constituaient au départ ne se réduisent qu'à elle et une autre de ses amis. Dos-à-dos, elles se battirent jusqu'au bout, avec une férocité et une violence décuplée, jusqu'à ce que la mort vienne les prendre, elles aussi. Vicencia était dans un état second, marquée par la mort de ses amis, la rage et la fureur l'animait. Le combat fut long et éprouvant, ni l'une ni l'autre n'aurait crue qu'elles s'en sortiraient, elles se battirent avec toutes leurs forces, avec toutes leurs armes. Avec cette force décuplée que procure le désespoir.

Et, elles triomphèrent. Pourtant, lorsqu'elles regagnèrent le camp Jupiter et la Nouvelle Rome, il n'y eu ni célébrations, ni hourras, seulement, le chagrin et les larmes. Seulement la solennité que l'on devait à ceux qui étaient morts au combat et qu'elles avaient ramené avec elles pour leurs offrir des funérailles dignes d'eux. Ce fut la dernière quête à laquelle elle participa.

twenty nine years L'âge de raison, l'âge de la maturité. Vicencia s'est peu-à-peu remise du traumatisme subi quelques années auparavant, en voyant ses amis mourir devant elle. Mais ce serait mentir de dire que cet épisode tragique de sa vie n'a eu aucune incidence sur sa vie. Si elle ressent encore et toujours l'appel de l'aventure au plus profond de son être, elle l'a fait taire depuis lors, l'a enfouit au plus profond d'elle-même. Elle est plus prudente, plus méfiante désormais, au moins tant qu'on ne s'en prend pas aux personnes qui lui sont chères, aux personnes qu'elle aime. Là, dans ces moments-là, son visage change, la fureur s'immisce en elle, tant et si bien qu'elle en devient impulsive, qu'elle fonce tête baissée aux devants du danger, pour défendre l'être cher. Elle libère la tempête intérieure qui vit en elle, se métamorphose en une bête féroce et orageuse, qui va jusqu'au bout, coûte que coûte. Elle déferle, tel un tsunami, ravageant tout et tout le monde sur son passage. Elle ne verra plus les personnes qu'elle aime mourir devant ses yeux, plus jamais.

thirty-four years L'année a été marquée par le déménagement de tous les camps divins à Kvalir, un château écossais dont la précédente fonction était d'être un pénitencier. Si elle se doutait que d'autres demi-dieux vivaient à travers le monde, elle était naïvement loin de se douter que tant de panthéons différents subsistaient indépendamment les uns des autres à travers le globe. Une découverte qui enjoua Vicencia, cette femme sociable et charmante au quotidien, qui aime découvrir de nouvelles personnes, de nouvelles cultures. Ce qui l'inquiète davantage, toutefois, c'est le pourquoi de ce changement soudain ? Si des siècles durant les dieux ont préféré conserver leurs enfants éloignés les uns des autres, ce n'est pas pour rien, alors faire le choix de les réunir, tous sans exception, dans un seul et même lieu, cela soulève des interrogations dans l'esprit de la fille de Neptune. Une nouvelle menace plane, elle le sent, tous peuvent le sentir, mais la nature et le mystère qui l'entoure, l'angoisse. L'écho douloureux de ce qui s'est produit il y a presque dix ans l'assaille encore. Elle ne veut pas revivre le cauchemar qu'elle a vécu, mais elle sait bien qu'elle y sera sûrement confrontée de nouveau, elle le sent au plus profond de ses entrailles et ça la dévore de l'intérieur.