Les nuits froides de Kisai

« On dirait que le temps n’a pas d’emprise sur toi » dit le Temps lui-même en tendant une main brumeuse vers cette femme. Décochent des sourires, puis s’embrassent. Naissance d’une très jolie petite fille. Kisai. L’impératrice. Fille d’un dieu et d’une mortelle.

Temps s’écoulant sur sa mère. Terrible désillusion de celle qui pensait avoir gagné jeunesse éternelle en s’éprenant du dieu Temps. Foutaises d’un homme ne voulant que lui faire un enfant. Regards noirs vers l’enfant, fin de cette jeunesse. Botox, encore et toujours. Car il y a des moyens de jouer des tours à ce fichu temps. Visage ravagé mais temps oublié. Une victoire pour la mère de Kisai.

Concours de beauté. Encore et toujours. Petite fille d’une splendeur sans nom. « Tu es la fille d’un dieu » répétait toujours sa mère. Soirées, photos, défilés. A peine savait-elle marcher que Kisai était épiée. Vie à trois milles à l’heure, rapidement faite au rythme tokyoïte et à la mère d’une chaleur froide et sans amour.

Puis les Rokurokubi. Monstresses mythiques qui lui reprocheront sa beauté. Qui l’attaqueront à chaque ruelle, à chaque soirée, à chaque petite ombre sur le chemin de la demie-déesse.  Echapper à la mort offrit une armure de courage à Kisai. Une reconnaissance de son père, le charmeur du panthéon japonais, qui lui apprendra que le temps coule dans leurs veines. Ralentissement, accélération, contrôle de ce temps.

Kisai ne parlera pas à son père autrement que par des formules de politesses dénouées de tout cœur, lors des rares fois où il eut daigné venir. Elle ne voulait pas de cet énergumène dans sa vie, pas de celui qui avait rendu folle sa mère. Elle ne voulait pas de cette mère non plus, qui ne voyait pas les dangers que la jeune encourait encore et toujours. Kisai serait sa propre mère, son propre père. En cela, elle travailla à toujours mieux maîtriser son contrôle du temps – comme pour contrôler son père. Elle veilla à rester toujours d’une apparence parfaite et soignée, comme le rêve inatteignable de sa mère. Kisai était une beauté redoutable.

Entraînements, quêtes, missions à l’international. Kisai se fait un nom, change le sien en Cold. Une légende est en train de naître. Force sûre du camp de demi-dieux du Japon, elle est la guerrière aux éventails d’or impérial. Elle n’est pas la meilleure au corps à corps, elle reste l’une des meilleures stratèges. Assignée parmi les têtes du campement, elle aidera à la formation des plus jeunes. Car vaincre le temps se fait aussi en préparant l’avenir.

Puis cette réunion de tous les Dieux. Une décision suivie par Kisai. N’accordant pas un regard ni une pensée à son père, elle ne répondit pas lorsque celui-ci lui annonça qu’elle avait la vision claire de l’avenir. Elle ferma les yeux un instant, se retrouva projetée à Kvalir, devant les grilles du château. Le chemin en terre battue. L’avenir se peignait sur ses paupières closes de leur arrivée dans le château. Prémonition, pouvoir naissant. Kisai réprima un frisson, serra le poing. Elle attrapa l’un de ses éventails, par réflexe, fit mine de le replacer correctement. Il était temps de se préparer, elle n’avait pas le temps de flancher.