go ahead and cry little boy (rai)

I. L’ABSENCE Toute la tendresse d’une mère ne suffit pas à soigner les plaies d’un enfant abandonné. C’est ainsi que Rai se considérait, et c’est en sachant cela qu’il apprit à grandir. Bien sûr, sa mère lui parlait souvent de son amant, celui dont elle avait désiré porter le fils, et en faisait les louanges, répétait combien il était fort, et beau, et puissant. Rai n’en retenait qu’une chose : l’absence par laquelle ce père brillait aussi clair que la foudre dans un ciel de nuages noirs ; l’absence qui le frappait comme cette même foudre. Bagarreur, hyperactif, cancre, Rai se trouvait être une déception pour tous les adultes qui l’entouraient, excepté pour sa mère, qui, en le bordant dans son lit, lui murmurait combien elle l’aimait, combien sa destinée serait grande.
II. LA RECONNAISSANCE A l’aube de ses onze ans, il apprit la vérité. Il la réprouva aussitôt. Divin ou pas, doté de tous les pouvoirs du ciel ou pas, le père avait choisi de partir, et Rai le rejetterait alors de même. On le conduit au camp Amaterasu pour sa propre sécurité. Et bien qu’il se jetait dans le conflit avec sa chère et tendre mère dès qu’il en apercevait l’occasion, elle lui manqua très vite, elle, et puis ses mots doux. Loin de ses bras réconfortants, il dût faire face à une autre vérité : s’il était un échec aux yeux du système scolaire mortel, il l’était d’autant plus d’un point de vue héroïque. Il fut incapable de se créer de nouveaux repères et de s’adapter dans ce nouvel environnement. Submergé par ses émotions, il peinait à apprendre et à s’améliorer lors des entraînements, qui l’agaçaient rapidement. La dague devint son arme principale. Rai apprit à la maîtriser difficilement, demandant rapidité, qu’il possédait naturellement et accrue par sa colère, mais aussi précision, qui nécessitait concentration. Le même processus eut lieu quant à ses pouvoirs : peut-être était-il trop faible, mais ces compétences puisaient en lui une telle énergie qu’il ne put montrer son potentiel. Rai dût s’y faire : il n’était qu’une déception. Et rien de plus exquis, prétendait-il pour se rassurer, que de désappointer le père qui n’avait pas su être là pour lui.
III. LES ÉTATS-UNIS A sa majorité, il quitta le camp et, afin de respirer un nouvel air, choisit de poursuivre des études d’informatique aux États-Unis, bénéficiant de quelques capacités électriques utiles. A l’université, il navigua les cœurs ; chaque semaine, un nouveau visage le faisait vibrer. Il savait s’attacher, oh oui, si vite. Quant à construire une relation… La consistance impérative à cette tâche n’était jamais au rendez-vous. Toujours dans l’excès, il faisait fuir ; et si un jour le voyait jovial, le suivant le découvrirait anxieux. Éparpillé, intense, étourdi, il lui était difficile d’établir un véritable lien. Il était, tout simplement, trop. C’est aussi à cette époque qu’il se découvrit très vite une attirance indépendante des genres ; ainsi s’éprit-il d’âmes diverses. Une détresse se forma en son cœur, jusqu’à entendre le nom qui le poursuivra encore aujourd’hui : « Jesse. », c’est ainsi qu’il se présenta à Rai. Les premiers mois, Jesse prit le demi-Dieu sous son aile ; le choya, essuya ses sautes d’humeur brusques et profondes, lui assura son amour. Rai fonça dans la gueule du loup, brebis égaré qu’il était. Une fois sa confiance acquise, Jesse commença à avoir des paroles rudes, dégradantes, mais Rai n’en fit rien ; sa loyauté eut raison de lui. Il était obsédé par la personne de Jesse, l’avait mis sur un piédestal comme un autel où le vénérer, et aveuglé par la lumière, laissait glisser ses comportements malsains, contrebalancés par leur complicité et instants de bonheur. Rai quitta l’université, plus intéressé par son aimé que les uns et les zéros, puis enchaîna les petits boulots. Un jour, sans crier gare, Jesse ne lui adressa plus la parole. Il ne le quitta pas ; disparut de sa vie purement et simplement. L’abandon. Rai en ressortit détruit, mais aussi dans le déni. Tantôt il adulait l’image de son ex-petit-ami, tantôt il le haïssait du plus profond de son être. Deux années entières à se donner pour un seul être, perdues. Par la suite, le demi-dieu trouva un emploi stable en tant que livreur. Ses amours suivirent ses premières aventures à l’université, courtes et intenses, rythmées par le dégoût de l’impression de trahison qu’il causait à Jesse, de qui il était encore épris. Néanmoins, quelques années plus tard, il se remit en quelque sorte de ce choc, ou peut-être se mua plutôt dans le déni.
IV. KVALIR Rai ne put fuir sa destinée trop longtemps. Qu’il le souhaite ou non, il possédait des compétences que les mortels ne connaissaient pas ; son ascendance le poursuivit. Le déménagement à Kvalir le plongea dans l’état d’esprit qu’il connut enfant, puis adolescent. La question de son père lui revint, de même que celle du contrôle de ses propres pouvoirs. Rai n’espère rien en arrivant à Kvalir. Il est frappé par cette impression que le temps s’est arrêté depuis qu’il a intégré le château, comme s’il vivait dans une autre réalité.