crying in the club (maiken)

(i.) Tu sais que ta mère ne te voulait pas - mais il est trop tard lorsqu'elle réalise qu'elle est enceinte, trop tard pour avorter de manière légale, trop tard pour le faire illégalement sans risquer sa propre santé. Alors elle te porte à termes, elle accouche, et elle te garde. Et chaque jour qu'Odin fait, tu te demandes s'il n'aurait pas mieux vallu qu'elle t'abandonne. Tu ne sais pas comment elle a rencontré ton père - tu ne le sauras jamais, probablement. Et lorsque des années plus tard, tu apprend qu'il s'agissait d'Heimdall, du dieu Heimdall, tu te demandes ce qu'il a bien pu lui trouver. Et le mythe s'effondre, s'il s'était jamais forgé un jour. Parce que ta mère, elle n'a que ça de maternel : le nom, le mot. Pour le reste, tu apprends rapidement à te débrouiller seule. Une petite fille ne devrait pas être livrée à elle-même - mais c'est ta vie et c'est comme ça. Ca ne sert à rien de s'apitoyer sur ton sort, et à cinq ans, à six ans, à sept ans, t'es probablement déjà trop vieille, trop mature pour ton âge. Les gens ne voient qu'une poupée au premier abord, longs cheveux blonds, bouche en coeur, grands yeux verts - mais quand ils s'approchent, ils réalisent. Tu n'as rien de féérique, rien de royal. T'es qu'une pauvre gamine abandonnée par la vie.

(ii.) T'as sept ans, lorsque la première flamme s'échappe de tes doigts et mets le feu à votre appartement. T'as sept ans, lorsque ta mère craque, et hurle, lorsque sa main tombe sur ta joue. T'as sept ans, quand tu paniques vraiment pour la première fois de ta vie. Parce que personne n'est censé pouvoir produire du feu de ses mains, mais tu l'as vu, clairement, tu l'as vu, sortir de ta paume. Et ta mère hurle, et frappe, et hurle encore plus, et le feu continue de sortir. Et la peur te prend, parce que tu n'as aucune forme d'amour pour ta mère, mais t'as pas envie de la tuer pour autant. Le feu s'arrête lorsque le coup de trop s'abat, lorsque ta tête rencontre le coin d'un meuble. Le feu s'arrête et le noir te recouvre. Lorsque tu te réveilles, t'es à l'hôpital - sans ta mère, qui a visiblement décidé qu'elle avait déjà perdu sept années de trop, que tu n'en valais plus la peine. Lorsque tu te réveilles, t'es seule et t'es pas vraiment surprise. T'as toujours été seule, ça ne change rien à ta vie.

(iii.) Sauf que ta vie change, parce que si ta mère part, les monstres arrivent. Et t'as vécu dans un quartier suffisamment pourri pour savoir que t'as deux choix : fuir ou mourir. Alors tu cours Maiken, tu cours aussi vite que tu peux. Sauf que t'as que sept ans et tu finis par être rattrapée. C'est ton feu, étrange, indomptable, qui te sauve encore une fois. Mais t'es lucide et tu sais que ce qui a marché une fois ne marchera pas deux. Néamoins, iels finissent par te trouver et par te sauver. Leurs propos sont fous - mais pas plus fous que le fait de pouvoir faire sortir du feu de tes mains. Alors tu les suis, parce que tu n'as nul part d'autre où aller. Camp Odin, c'est un nouveau monde, une nouvelle vie. Et lorsque tu t'assois autour d'un feu de camp avec les autres, lorsque ton regard parcoure celleux t'entourant, tu réalises que ta place est là.

(iv.) Mais tu ne sais pas faire confiance, Maiken, pas au premier abord. T'es méfiante, bornée, piquante. On te présente des demi-frères et sœurs et adelphes - mais tu attends. Tu attends de voir si le rêve va se briser, si les illusions vont disparaître. T'as sept ans, t'es pas plus haute que trois pommes, et t'as déjà trop de colère en toi, trop de colère contre le monde, trop de colère contre ta mère, trop de colère contre ton père. Alors on te colle une épée dans les mains, Maiken, et on t'apprend à l'utiliser, à te dépenser. On te colle une épée entre les mains et plus jamais on ne pourra te la retirer. La révélation est aussi violente que les coups que tu reçois, aussi violente que l'entraînement constant. Tu craches du sang sur le sol du terrain d'entraînement et tu en redemandes. Les années passent, tes muscles se font, ta colère ne diminue pas - mais tu apprends à l'utiliser, tu apprends à t'en servir. L'épée devient espadon, l'arme presque aussi grande que toi et plus tu grandis, plus elle s'allonge. Celleux qui te connaissent ne rient pas lorsqu'iels te voient avec - iels connaissent tes capacités, connaissent ta force. T'es devenue un monstre, Maiken, une force de la nature - fille du feu, tu l'es, autant par tes mains que par ton arme. T'es violente, dure, mais tou·te·s celleux qui partent en quête avec toi reviennent toujours vivant.

(v.) Tu ne sais plus vraiment quel âge tu as lorsque tu réalises que tu n'aimes pas les hommes, pas comme ça en tout cas. Douze ou treize ans peut-être ? Tout ce que tu sais, c'est qu'une fois que tu le réalises, t'es incapable de faire semblant, de faire croire que tu n'es pas lesbienne. Alors t'assumes et tu l'affiches et jamais tu te caches, jamais tu feras semblant. Ta vie, tu la vivras comme tu l'entends. T'assumes, depuis des années, t'assumes et tu en as bavé. Parce que l'homophobie, ça touche autant les humain·e·s que les demi-dieux·déesses, parce que l'homophobie, c'est une putain de maladie, mais iels te regardent comme si c'était toi qui es anormale. Et t'as jamais fait semblant, Maiken, tu n'es jamais revenue en arrière. Tu sais frapper et tu sais te défendre. T'es fière de qui tu es, Maiken, et iels peuvent l'accepter ou se prendre ton poing dans la tronche.

(vi.) Les années passent et tu t'es faite ta place au camp. C'est chez toi, c'est ta famille. T'es là depuis huit ans, t'atteins ta majorité, mais tu t'en fous. T'as pas envie de bouger, t'as nul part autre où aller. Tu restes. Les années passent et t'enchaînes les patrouilles, les quêtes, les coucheries, les combats. Incapable de te cacher, incapable de faire semblant. Passionnée autant sur le terrain d'entraînement que dans l'intimité de tes quartiers. Les années passent et t'es là depuis seize, dix-sept, dix-huit ans, e tu deviens l'une des plus âgées du camp. Tu deviens une grande-sœur, un support, un soutien, un parent. Une grande partie de ces gamin·e·s-là, tu les as élevé·e·s toi-même. Tu es bien plus leur mère que jamais leur parent divin ne le sera jamais. T'as jamais rencontré ton propre père et tu t'en fous. De garde, tu deviens entraîneur - t'es l'une de celles avec le plus d'expérience, le plus de cicatrices. Tu les formes, t'en fais des guerrier·ère·s. Tu pars toujours en quêtes - parce que ça fait partie de toi, parce que tu ne les abandonneras pas. Les années passent et t'es chez toi.

(vii.) T'es bourrée. T'as conscience que t'es bourrée, mais ça ne veut pas dire que tu peux y faire grand chose. T'es bourrée et tu t'en fous. Votre quête est terminée et vous le célébrez comme il se doit, vous êtes rentré·e·s et c'est la liberté. Vous avez réussi et vous en êtes fier·ère·s - alors tu fais la fête, et tu bois, et tu oublies, tu t'oublies. Puis le monde se met à tourner, et tu ne sais pas l'heure qu'il est - tu sens juste les bras qui t'entourent, la voix qui propose de te raccompagner dans ton dortoir. Et tu dis oui, parce que tu le connais, parce que c'est un camarade - des années passées dans le même camp, à vous entraîner ensemble, à partir en quête ensemble. Vous n'avez jamais été vraiment ami·e·s, mais il est l'un des tiens. Il y a une solidarité, une camaraderie - vous vous comprenez et ça te rassure. Alors tu dis oui et tu le laisses te ramener vers ton lit, et tu te moques du nombre de fois où tu trébuches sur le chemin, et tu ris probablement trop fort, mais tu t'en fous. T'es juste heureuse, Maiken.

tw, agression sexuelle, violence:

(viii.)

tw, post agression sexuelle:

(ix.) T'as envie de vomir, comme pratiquement tous les jours depuis un mois et demi. Parce que l'enfer n'a fait que commencer, après cette nuit-là. Parce le jour est arrivé et qu'il a fallu tout expliquer, parce qu'il y a eu des conséquences et que t'étais incapable de gérer. Parce que t'as dû parler, parce que t'as dû raconter ce qu'il s'est passé. Sa parole contre la tienne. Et des propos qui t'ont encore plus donné envie de vomir. Et la lutte ne fait que commencer, parce qu'il sait comment utiliser ses mots, il sait comment tourner ses propos. Et il a fallu que tu ailles à l'infirmerie, pour les preuves physiques. Celle qui s'est occupée de toi était d'une gentillesse qu'il te fallait à ce moment-là. Et c'est elle, qui t'a posée des questions, qui t'a parlée du test de grossesse. Qui t'a dit d'y penser, d'ici trois ou quatre semaines. Que c'était important, pour pouvoir décider de toi-même ce que tu ferais. Il t'a fallu plus de quatre semaines, pour te décider, presque cinq. T'as essayé d'oublier, de ne pas y penser. Il y a eu Kvalir, la menace, le déménagement - t'as essayé de te concentrer dessus, de ne pas penser au reste, d'oublier qu'il était toujours là. Mais tu savais que tu devais, parce que tu ne pouvais pas ne pas savoir. Alors t'es allée à l'infirmerie du château. Et il y a eu le premier test, et le deuxième, et le troisième, et tu ne voulais pas y croire, et t'as insisté. Sauf que la vérité était là, devant tes yeux, et t'as cru que tu allais encore t'effondrer. T'étais seule, et t'as regretté, mais t'avais besoin d'avoir le contrôle sur la situation, de n'être qu'avec toi-même quand tu aurais la confirmation. et elle est tombée, comme un couperet, et t'avais envie de vomir. T'es enceinte, Maiken. T'es enceinte, et tu ne sais pas comment gérer cette information. T'es enceinte, et tu ne sais pas ce que tu dois faire. T'es enceinte, et ton monde vient de s'écrouler, encore une fois.