BLACK SWAN ; (kieran)

La Colonie te manque, tu l’avoues sans honte. Et les quartiers désignés comme étant l’aile grecque font bien pâle figure face à tes souvenirs de ce camp que t’aimais tant, de ce camp où t’as sans le moindre doute passé beaucoup trop de temps. T’as essayé de la fuir, la Colonie, avant de te rendre compte que le monde extérieur n’était clairement pas fait pour toi ; t’es revenue la queue entre les jambes et l’échine courbée, puis tu t’es remise sur pieds avec cette nonchalance qui te caractérise tant. Tu t’es trouvée un but, tu t’es trouvée un job et te voilà repartie comme si rien ne s’était passé, comme si t’avais pas passé deux ans à en baver. T’as un peu la même sensation à Kvalir ; t’as pas vraiment envie d’être là, mais t’as pas vraiment envie d’être ailleurs non plus. Des fois, tu joues avec l’idée de te casser, de partir loin d’ici et de repartir à zéro. Puis tu la jettes vite à la poubelle, cette vile idée. Tu peux pas vraiment te permettre de faire ça ; t’as des responsabilités, ici. T’es conseillère, t’as des choses à faire et à dire pour que tout se passe bien, pour que la vie de tes compatriotes grecs soit le plus facile. La vie des autres demi-dieux aussi, ceux des autres panthéons, mais (encore une fois, c’est sans honte que t’avoues la chose) ta loyauté va avant tout envers ceux de la Colonie. T’as rien contre les autres, c’est juste que tu les connais pas … du coup, c’est un peu difficile de te mettre à leur place, d’imaginer ce qu’ils peuvent vivre. Enfin, le déménagement n’a pas été de tout repos pour tout le monde, c’en est certain. Mais chacun voit la chose à sa manière et t’es pas encore trop au courant de ce qui se dit ailleurs.

Tu quittes ton dortoir en soupirant lourdement ; revêtue d’un t-shirt trop large pour ta frêle carrure et d’un bas de jogging sans forme, t’as pas l’intention d’aller bien loin. Tu t’es levée trop tard pour prendre part au p’tit-déjeuner, mais ça te dérange pas plus que ça ; t’as jamais trop faim le matin, tu sais pas trop pourquoi. Peut-être que c’est juste ton corps qui est pas totalement réveillé. Tu passes une main maladroite dans tes longs cheveux sombres ; ils sont tout emmêlés donc tu te coinces les doigts dedans et tu regrettes ce simple geste en grimaçant. Tu jettes un petit coup d’oeil à ton réveil et tu vois que t’es en retard. Tu soupires à nouveau, extirpant tes doigts du bordel que t’as sur la tête. Tu quittes ton dortoir sans prendre la peine d’enfiler une paire de chaussure, hop, allez, tu files en direction de la salle commune. Tu te dépêches un peu, mais pas trop. T’es pas du genre à te mettre à courir comme ça. Puis il te faut pas longtemps pour arriver à ta destination ; la salle commune. Tu pénètres dans celle-ci en balayant la grande pièce du regard, à la recherche du visage familier de ton demi-frère. Tu l’aperçois dans le fond de la salle, assis à l’un des fauteuils que tu sais fort confortable. Et à nouveau, tu files. Cette fois tout droit en direction de l’autre rejeton d’Hadès. Tu te laisses tomber lourdement dans le fauteuil qui lui fait face, lui adressant un sourire chaleureux et complice. « Pouah, tu m’excuseras pour le retard, dis ? J’ai eu du mal à démarrer ce matin. » fais-tu en guise d’introduction. Tu dois lui offrir une bien drôle d’image, avec tes cheveux en bataille et tes habits trop larges. Mais t’en as pas grand-chose à foutre ; Kieran pourra bien dire ce qu’il veut à ce sujet, tu sais qu’il te jugera pas. « Comment tu vas ? T’as dit que tu voulais qu’on cause ? » Tu tournes pas autour du pot, Ava. Comme d’habitude, tu vas droit au but.